1961… Fischer, alors âgé d’à peine 18 ans, participe à un fort tournoi européen - à Bled en Yougoslavie plus précisement - qui célèbre le 30ème anniversaire d’un grand tournoi joué en 1931 et où l’élite mondial s’était réunie. La jeune star des échecs américains partage la vedette avec une autre star du moment, le soviétique Mikhail Tal. Mais le russe a alors une belle longueur d’avance, puisqu’il a déjà conquis le titre mondial en 1960, à l’âge de 23 ans, devant un Botvinnik fatigué qui pourtant prendra sa revanche dès leur match retour de 1961. Pour Tal, la mission est claire : il doit reprendre confiance avec ce tournoi… Pour Fischer, il s’agit là de montrer qu’il faudra désormais compter avec lui au sein de l’élite mondiale. Un autre participant notoire et pourtant bien moins connu, éclipsé sans doute par la domination des météores de l’époque, n’est autre que le champion du monde junior en titre (20 ans) : le yougoslave Bruno Parma.

Ce tournoi donnera lieu à une course poursuite entre Fischer et Tal, et sur laquelle je reviendrai par la suite, en le commentant ronde
après ronde, histoire de vous faire revivre ces grands événements du passé que l’on oublie pourtant trop facilement.

En attendant, je m’arrêterai aujourd’hui à une partie opposant Fischer au redoutable Efim Geller, autre pointure soviétique de l’époque, qu’il rencontrait d’ailleurs pour la première fois. Sans doute un peu trop sûr de lui, le russe encaisse ici une sévère défaite qui lui dictera la marche à suivre dans ses futures confrontations contre l’américain et que l’on peut résumer ainsi : “ne plus jouer 1…e5 avec les Noirs”.

Fischer,R - Geller,E

Bled, 1961
Espagnole

1.e4 e5

Un choix que ne renouvelera pas Efim Geller face à Fischer… En effet, s’il s’agit de l’un des rares joueurs à avoir “scoré” contre l’américain (avec 5 victoires pour 3 défaites), ses réussites avec les Noirs n’eurent lieu que dans des Siciliennes.
On peut presque affirmer sans trop se tromper que cette partie est pour beaucoup dans la résolution du russe à éviter par la suite 1…e5.

2.Cf3 Cc6 3.Fb5

L’Espagnole, arme de prédilection de Fischer…

3…a6 4.Fa4 d6

Geller qui jouait …e5 régulièrement, avait pour habitude d’utiliser des systèmes plus courants, avec 4…Cf6.
On doit croire qu’il avait sans doute préparé une ligne pour “cueillir” le jeune américain dans une préparation.
Le retour de manivelle va malheureusement s’avérer violent.

5.0-0 Fg4!?

On joue plus fréquemment 5…Fd7, voire 5…Cf6 de nos jours. Mais à l’époque, cette suite était considérée comme meilleure.

6.h3 Fh5

6…h5!? et également possible, mais 7.d4! b5 8.Fb3 Cxd4 9.hxg4 hxg4 10.Cg5 est une réponse forte pour contrer les Noirs dans cette variante.

7.c3 Df6?!

Au vu de la suite de la partie, on peut affirmer que ce coup est fortement douteux.
Sans doute le russe avait-il en tête de provoquer un affaiblissement du roque blanc, pour lancer ensuite une attaque agressive dont il avait le secret, mais Fischer a analysé plus loin.

8.g4! Fg6 9.d4!

Les Blancs donnent un pion, mais leur avance de développement, le roi noir encore au centre et la mauvaise coordination des pièces noires leur donne un bel avantage.

9…Fxe4 10.Cbd2

Les Blancs continuent de se développer avec gain de temps.
Un échange du fou noir représenterait une grosse perte de temps pour ces derniers, et sans doute une défaite rapide.

10…Fg6

Pour conserver le fou de cases blanches. Si 10…Fd3 11.Fxc6+ bxc6 12.Te1 0-0-0 13.Te3! et les Noirs vont souffrir à l’aile-dame alors que les Blancs ont de leur côté une belle avance de développement.;
10…Fxf3 11.Cxf3 e4 et les Blancs peuvent jouer 12.Cg5 (ou 12.Te1 d5 13.Fg5 Dd6 14.c4! dxc4 15.d5! b5 16.dxc6 bxa4 17.Txe4+ Fe7 18.De2 et les Noirs sont au delà du mal.) 12…d5 13.f3 Dd6 14.fxe4 Dg3+ 15.Rh1 dxe4 16.De2 avec une position quasiment gagnante.

11.Fxc6+ bxc6 12.dxe5

On remarque que le plan noir a totalement échoué. Fischer pouvait également jouer 12.Da4 Ce7 (12…Rd7 sans doute le seul coup 13.dxe5 dxe5 14.Cc4 Fd6 15.Td1 Te8 16.Cxd6 cxd6 17.Db4! et la position noire est difficile. Par exemple 17…Rc7 18.Fe3 (Ou 18.Da5+ Rd7 19.Dc5! avec un gros avantage blanc.) 18…c5? (18…Tb8 19.Da5+ Rc8 20.Dxa6+ et les Blancs ne devraient pas éprouver trop de mal à transformer une telle position.) 19.Da5+ Rb7 20.Fxc5! gagne.) 13.dxe5 dxe5 14.Te1 e4 15.Cxe4 Dxf3 avec une jolie variante possible 16.Dxc6+! Cxc6 17.Cf6+ Rd8 18.Te8#

12…dxe5 13.Cxe5 Fd6 14.Cxg6!

A première vue, ce coup semble donner beaucoup de contre-jeu aux Noirs en leur proposant d’ouvrir la colonne h sur le roque blanc affaibli.
Mais cela n’est qu’illusion…

14…Dxg6

Geller se décide finalement à reprendre de la dame pour empêcher l’arrivée du cavalier blanc en e4. Après 14…hxg6 15.Ce4 De6 16.Cxd6+ Dxd6 17.Df3 et les Blancs sont là encore nettement mieux. Ff4 et Te1+ menacent les Noirs.

15.Te1+ Rf8

15…Ce7 16.Cc4 avec avantage blanc.

16.Cc4 h5

Le russe mise ses espoirs dans l’ouverture de la colonne h et le contre-jeu qu’il pourra en tirer.

17.Cxd6 cxd6

La finale résultant de 17…Dxd6 18.Dxd6+ cxd6 19.Ff4 Td8 20.Tad1 d5 21.Td4 n’est guère réjouissante entre joueurs de ce niveau. Et Geller préfère l’écarter… pour s’engoufrer dans une variante pire encore.

18.Ff4 d5?

La dernière erreur dans une position difficile. 18…Td8 était ici le seul coup. 19.De2 hxg4 20.hxg4 Mais là aussi les Noirs vont souffrir.

19.Db3!

Un coup terrible qui menace Db4+ et Db7…

19…hxg4

Après 19…Ce7 20.Txe7! Rxe7 21.Db7+ gagne sur le champ.;
ou 19…Cf6 20.Db7 Te8 21.Txe8+ Cxe8 22.Te1 Df6 23.Dc8 abrège les souffrances noires.

20.Db7

Encore plus fort que 20.Db4+

20…gxh3+ 21.Fg3 Td8 22.Db4+

et Geller abandonne.

1-0

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