Le blog de Pierrot

Les grandes parties de Bobby Fischer (3)

4 avril 2008

En 1962, l’Interzonal prévu au départ pour être joué en 1961 aux Pays-Bas, se déroule finalement en Suède et plus précisément à Stockholm. Le tournoi durera plusieurs semaine, du 26 janvier au 8 mars, et 23 joueurs y prendront part. C’est Bobby Fischer, alors âgé de 18 ans, qui l’emportera avec un score impressionnant : 17,5 points sur 22 (13 victoires, 9 nulles et aucune défaite). Les quatre places suivante seront prises par Tigran Petrosian (URSS) et Efim Geller (URSS) avec tous deux 15 points, ainsi que Victor Korchnoi (URSS) et le tchèque Miroslav Filip avec eux 14 points.

Un match de départage sera disputé pour déterminer quel joueur prendrait la 6ème place, synonyme également de qualification, et c’est Leonid Stein qui l’emportera devant Pal Benko et Svetozar Gligoric. Mais un point de réglement, adopté en 1959, précisait qu’un maximum de 3 joueurs d’une même nation pouvaient se qualifier, et c’est Pal Benko qui fut désigné pour la qualification. Stein pourrait y prendre part à la condition d’une absence d’un des trois autres soviétiques mieux classés.

Lors de la dernière ronde, c’est un Fischer déjà assuré de sa première place qui affrontait le maître yougoslave Mario Bartok.

En voici la partie humblement commentée :

Mario Bertok - Robert James Fischer
Interzonal de Stockholm (ronde 22) - 04 mars 1962
Gambit de la dame

1.d4 d5

On peut compter sur les doigts de la main les parties où Fischer n’a pas débuté par 1…Cf6.
Il reste avant tout un expert de l’Est-indienne, mais également pratiquant de la Grunfeld dans quelques unes de ses parties importantes.

2.c4 e6 3.Cc3 Fe7

Un ordre de coups qu’affectionnait l’ancien Champion du Monde Tigran Petrosian.
Les Noirs veulent amener les Blancs à jouer Cf3, évitant ainsi des variantes variantes avec un développement du cavalier sur e2, comme parfois dans la variante d’échange du gambit dame.

4.Cf3

Une autre possibilité serait ici 4.cxd5 exd5 5.Ff4 c6 6.e3 Ff5 7.g4 (7.Cge2! est meilleur d’après le GMI américain Robert Byrne.) 7…Fe6 (7…Fg6!?) 8.h3 comme joué dans la partie Botvinnik,M-Petrosian,T lors du Championnat du Monde de Moscou de 1963.

4…Cf6 5.Fg5 0-0 6.e3 h6 7.Fh4 b6

La fameuse variante “inventée” par Xavier Tartakover.
L’idée noire est simple : provoquer beaucoup de simplifications pour amener l’égalité sur l’échiquier.

8.cxd5

Ou 8.Fd3!? Fb7 9.0-0 Cbd7 10.Tc1 c5 11.De2 dxc4 12.Fxc4 Ce4= déjà joué par Fischer en 1959 face à Tigran Petrosian.

8…Cxd5

Après 8…exd5 9.Fd3 Fb7 10.Ce5! avec l’idée de jouer f2-f4, suivi de g2-g4-g5 avec une belle attaque blanche “à la Pillsbury” à l’aile-roi, d’autant plus forte que les Noirs ont poussé h6 qui favorise une rupture sur g5.

9.Fxe7 Dxe7 10.Cxd5

En échangeant sur d5 ici, les Blancs montrent leur désir de jouer contre des pions noirs pendants en d5 et bientôt c5.
Cette structure ne peut-être considérée comme un handicap, et seule différence dans la qualité de jeu des deux adversaires, pourra décider d’en faire une arme ou une faiblesse.

10…exd5 11.Fe2

Après 11.Tc1 pourrait suivre 11…Fe6! Le fou c8, et ce malgré le coup b7-b6, trouvera sa voie sur la diagonale c8-h3 après un échange blanc sur d5. l n’est d’ailleurs pas rare de voir la manoeuvre Fb7-c8-e6 dans certaines variante. Elle est même thématique comme l’explique Kasparov lui-même dans un des tomes de “My Great Predecessors”. 12.Da4 c5 13.Da3 Pour pressuriser sur le pion c5. 13…Tc8 14.Fe2 Rf8= Un bon coup qui protège la dame noire et décloue le pion c5. Les Noirs ont totalement égalisé ici.(Un autre plan ici est 14…Db7! 15.dxc5 bxc5 et la dame noire est très bien placée pour la suite. 16.0-0 (Si 16.Txc5? Txc5 17.Dxc5 Dxb2 et ce sont les Noirs qui s’emparent de l’avantage.) 16…Db6÷)

11…Fe6!

Malgré …b6, le fou c8 sera mieux placé sur la diagonale c8-h3 après l’échange en d5 (voir le commentaire un peu au-dessus pour l’explication).

12.0-0

L’essai 12.Ce5 c5 13.0-0 Cd7 14.f4 n’apporte rien aux Blancs, car après 14…Cxe5 15.dxe5 les Noirs peuvent jouer 15…Tfd8 avec une bonne partie.

12…c5 13.dxc5?

Meilleur était ici 13.Ce5 Cd7= (Si 13…c4? 14.b3 b5 15.a4 et les Noirs ne récoltent que des faiblesses.).
Larsen a essayé 13.Dd2 contre Spassky, dans leur match de 1968, avec comme suite : 13…Cd7 14.b3 a5! avec une partie riche et très intéressante. Les chances y sont équilibrées.

13…bxc5 14.Da4 Db7!

Comme dans la variante citée un peu au-dessus, les Noirs optimisent le placement de leur plus forte pièce.

15.Da3

Les Blancs mélangent les plans et idées de cette variante. La dame blanche se retrouve non pas en position agressive vis-à-vis du pion c5, mais plutôt dans une rôle défensif du pion b2. Fischer va maintenant s’emparer facilement de l’initiative.

15…Cd7 16.Ce1

avec idée Cd3 et toujours cette “fixette” sur le pion c5.

16…a5!

Fischer répond à l’idée blanche en menaçant à son tour. …Db4 rentre maintenant en ligne de compte, et après un échange des dames, c’est le pion a2 qui serait sous le feu.

17.Cd3 c4

simplement

18.Cf4 Tfb8

Et les Blancs doivent déjà jouer en défense. Il n’est pas facile de protéger le pion b2.

19.Tab1?

Les Blancs se trompent et ne choisissent que la suite la plus malencontreuse.
D’autres coups étaient possibles ici :
a) 19.Ff3 Cf6 20.Tfd1 Dxb2 21.Dxb2 Txb2 22.Cxd5 Cxd5 23.Fxd5 Fxd5 24.Txd5 c3! Ce pion c va à lui seul mettre à mal la position blanche. 25.Tdd1 (L’autre coup 25.Tc5 n’est pas meilleur 25…c2 26.Tc1 Td8-+ gagne déjà en raison de la menace sur la première rangée.) 25…c2 26.Tdc1 Tab8 menace …Tb1 27.Rf1 Tb1 quand même ! 28.Re2 Txa1 29.Txa1 Tb1-+ gagne du matériel et la partie.
b) 19.Cxe6 (La recommandation de Bobby) 19…fxe6 20.Fg4 Ta6! 21.b3! sans doute le seul coup (21.De7? ne marche pas à cause de 21…Cf8 et après un échange des dames en b7, les Blancs restent avec leur grosse faiblesse en b2.; 21.Tab1 Db4 Les Noirs dominent l’échiquier. 22.Dc3 Dxc3 23.bxc3 Tab6 et les Noirs s’emparent de la seule colonne ouverte. Les faiblesses blanches en a2 et c3 risquent de s’avérer fatales.) 21…cxb3 22.axb3 Dxb3 23.De7 Les Blancs lâchent le pion et se lancent à la recherche de contre-jeu. 23…Cf8 24.Ta3 Db4 25.Dxb4 Txb4 26.Fe2 Ta7 27.Tfa1 a4 28.Fd1= et le pion “a” noir va tomber et amener l’égalité.
Mais une autre possibilité est passée inaperçue aux yeux du GMI américain.
c) 19.e4! Les Blancs décident de contre-attaquer plutôt que de jouer passivement. 19…Dxb2 et les Blancs peuvent se décider entre (19…dxe4? est bien entendu mauvais à cause de 20.Cxe6 fxe6 21.Fxc4 et ce sont les Noirs qui possèdent les faiblessent maintenant, et les Blancs qui ont un léger avantage.) 20.Dg3 pour compliquer un peu plus encore la position, ou échanger simplement en b2 par 20.Dxb2 Txb2 21.exd5 Fxd5 22.Tfe1! et les Noirs n’arriveront pas à conserver leur pion de plus.)

19…Ff5! 20.Tbd1 Cf6 21.Td2

Fischer indique qu’ici 21.Ff3 Dxb2 22.Dxb2 Txb2 23.Cxd5 Cxd5 ne mène pas à l’égalité après 24.Fxd5 (24.Txd5 n’est pas mieux 24…Fe6 25.Tc5 Tc8! avec par exemple 26.Txa5 c3 27.Tc1 c2 28.Fe4 Tb1! 29.Txb1 cxb1D+ 30.Fxb1 Tc1#) 24…Tc8 25.e4 Fe6! force l’échange du puissant fou d5 26.Fxe6 fxe6 27.a4 c3 28.Tc1 c2-+ gagne normalement pour les Noirs.

21…g5!-+

un coup puissant qui anihile les espoirs blancs.

22.Cxd5

Le maître Yougoslave se décide à donner une pièce pour les deux pions noirs, espérant ainsi peut-être revenir dans la partie. Si 22.Ch5 alors 22…Ce4 23.Tc2 Db4!-+ et la position blanche est en ruine. Les Blancs n’ont alors plus aucun coup potable.

22…Cxd5 23.Fxc4

et pas 23.Ff3? à cause de 23…Fd3.

23…Fe6 24.Tfd1?

Equivaut à l’abandon… Les Blancs sont sans doute sous le choc pour lâcher aussi vite. 24.Fxd5 était sans doute meilleur et permettait de créer quelques complications. Par exemple : 24…Fxd5 25.Dd6 Fxg2 (25…Fe6 est également jouable et devrait gagner tranquillement.) 26.Dxh6 bien qu’après le précis 26…Ta6! les Blancs soient au delà du mal. 27.Dxg5+ Tg6 gagne tout de suite.

24…Cxe3! 25.Dxe3